Le projet Anthologie Grecque

L’Anthologie grecque

c. 4000 épigrammes
c. 325 auteur.e.s
c. XVI s. de littérature
AG. = A. Palatine + Appendix Planudea

NOTES SUR STYLO ; https://stylo.huma-num.fr/article/6330df7f5192f800134f2c96/preview

Bonjour à toutes et tous,

C’est un plaisir de pouvoir partager avec vous le projet Anthologie grecque. Dans cette communication, je vous parlerai du projet et de son objet, d’un point de vue relativement théorique. Marcello prendra ensuite la relève et proposera quelques considérations herméneutiques soulevées lors du développement du projet.

Avant de vous parler du projet d’édition numérique collaborative de l’Anthologie grecque, laissez-moi vous présenter l’objet de tout notre engouement, à savoir ce que renferme cette très fameuse Anthologie grecque.

Derrière cette appellation se cache un regroupement de la poésie épigrammatique grecque issue de la période classique jusqu’à la période byzantine, soit près de 4000 pièces (épigrammes), de 325 auteurs (et autrices) différents, s’étalant dès lors sur plus de 16 siècles. La tradition de l’Anthologie est particulièrement complexe : en effet, par définition, ce corpus est ouvert, et est le résultat de multiples reconfigurations et compilations. La dénomination « Anthologie grecque » fait d’ailleurs référence à la réunion du manuscrit Palatinus 23 (940 apr. J.-C.), retrouvé en 1606 par Claude Saumaise à la Bibliothèque palatine de Heidelberg, et de l’Appendix Planudea. Cette appendix comprend les épigrammes absentes du manuscrit palatin mais présentes dans l’Anthologie de Planude, compilation achevée en 1301. Ces Anthologies se sont construites à partir de nombreuses autres anthologies et regroupements d’épigrammes, notamment celles de Constantin Céphalas vers 900 apr. J.-C., elle-même composée à partir des Couronnes de Méléagre (Ie siècle av. J.-C.), de Philippe (Ie siècle apr. J.-C.), de Diogénien (IIe siècle apr. J.-C.) ou encore du Cycle d’Agathias (plus tardivement, au VIe siècle apr. J.-C.).

L’épigramme grecque

Ἐπίγραμμα : “ce qui est écrit sur”

VIII-VIIe s. : inscriptions simples
VI-IVe s. : versification
III-IIe s. : diversification des sujets

Brevitas & argutia

L’Anthologie renferme donc des épigrammes, petites fleurs (pour faire honneur à l’étymologie du mot) de la poésie grecque. Ce genre littéraire nait en Grèce et perdure jusqu’à aujourd’hui, tout en connaissant des évolutions significatives. À l’intérieur de la littérature grecque, déjà, le genre évolue sensiblement. Originellement, en effet, les épigrammes servent à graver dans le marbre, le bronze, la pierre, une inscription, assez simple, d’une ou deux lignes, décrivant une tombe, une statue, un ex-voto,… La versification de ces inscriptions se généralise lors du VIe siècle. Dès l’époque alexandrine (III-II^e), l’épigramme se détache de son support, se diversifie dans son propos. Elle finira par se définir par sa brièveté (brevitas) et son trait piquant (argutia).

Au sein de l’Anthologie grecque, les épigrammes sont classées en 16 livres (le 16^e étant l’appendix planudea) : il y en a pour tous les goûts : des épigrammes chrétiennes (l. 1) à amoureuses (5, 12), votives (6), funéraires (7), en passant par des énigmes (14). Il s’agit d’un corpus qui a un impact fondamental dans nos cultures occidentales et qui continue à résonner dans notre imaginaire littéraire et culturel.

Le projet « Anthologie grecque »

anthologiagraeca.org : une édition numérique collaborative de l’AG, contenant :

plusieurs éditions du texte grec
traductions
scholia
alignements avec le manuscrit
méta-données : auteurs, lieux, mots-clés,…
commentaires
références internes et externes

Objectifs:

un hub pour l’AG
Accessibiliser le corpus anthologique

Le projet « Anthologie grecque »

Nombreux acteurs :

Elsa Bouchard
Christian Raschle
Servanne Monjour
Annalisa Divincenzo
Margot Mellet
Mathilde Verstraete
Luiz Capelo
Et bien d’autres étudiant·e·s…

Arthur Juchereau
Tim Guicherd
David Larlet
Sara Rubio
Perseus
Perseids
Bibliothèque Palatine (Heidelberg)
Liceo Classico Cagnazzi (Altamura)

D’où viennent nos projets de recherche ?

Qui pense ?

Hypothèse

Loin d’être le fruit d’un seul chercheur, la pensée est le résultat d’un ensemble complexe d’éléments comprenant des environnements techniques, des protocoles, des formats, des algorithmes, des structures de données…

MARCELLO La question que je voudrais partager avec vous aujourd’hui, en utilisant ce projet comme étude de cas, est la suivante : D’où viennent nos projets de recherche ? Et plus largement, comme le dit le titre d’un des livres de Mechoulan : (D’où nous viennent nos idées ? Métaphysique et intermédialité, coll. « Le soi et l’autre », Montréal, VLB Éditeur, 2010.)

Je voudrais remettre en question l’idée qu’il y a d’une part un érudit, un chercheur qui pense, développe des modèles épistémologiques, théoriques et herméneutiques et ensuite, d’autre part, une mise en œuvre de ces modèles dans des environnements techniques.

Au contraire, l’hypothèse que je propose est que la pensée, les modèles épistémologiques et les théories émergent d’environnements techniques particuliers. C’est la technique qui pense.

Il était une fois, un projet de recherche…

Quel modèle éditorial pour véhiculer un tel corpus ?
- spip
- API
- Restructuration des données
- Nouvelle plateforme (django)

MARCELLO Pour démontrer cette hypothèse, je vais vous raconter l’histoire de notre projet, comment il est né et comment il s’est développé jusqu’à sa forme actuelle.

Il s’agit toujours d’un travail en cours, je vous donnerai donc un aperçu d’un état intermédiaire qui évolue encore.

La question initiale m’est venue lorsque j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup d’informations sur l’Anthologie grecque en ligne, éparpillées mais difficiles d’accès. Il m’a semblé que l’environnement numérique pouvait être le lieu idéal pour valoriser et diffuser le corpus anthologique

Le principe d’une anthologie repose en effet sur le rassemblement de fragments épars et représentatifs d’une culture selon un réseau de sens et d’imagination qui fait appel à la récurrence de thèmes (ce que l’on appelle des topoi). Ce principe est en fait très proche des caractéristiques de structuration et de circulation des contenus sur le Web. Comme le dit Milad Doueihi dans son ” Digital culture “, notre culture numérique est éminemment anthologique. (Doueihi 2011, 163).

Le projet pilote a donc exploré les possibilités d’édition d’un tel corpus dans un environnement numérique afin de mettre en évidence la multiplicité des lectures, le réseau des topoï, et l’enrichissement des épigrammes par un ensemble de métadonnées.

L’objectif initial n’étant pas principalement académique, mais plutôt de diffuser et de promouvoir l’Anthologie auprès d’un large public, la structure du projet s’est écartée des standards de l’édition savante numérique (XML par exemple, la volonté d’établir le texte…) et nous a conduit à imaginer un nouveau modèle éditorial.

La première version était un simple site web généré avec le système de gestion de contenu Spip, mis en place par Marcello Vitali-Rosati.

Spip est un CMS français, développé dans les années 90 pour l’édition académique, et spécialement conçu pour la publication de revues.

Le premier modèle de données, que j’ai développé dans Spip, a ensuite servi à préciser les besoins et surtout à définir le projet, ses enjeux de recherche, ses approches et ses méthodes.

La structure des données a donc été initialement définie à partir des contraintes et de la conception d’un environnement technologique particulier - choisi un peu au hasard, en raison de mon aisance à le manipuler.

Ce constat est fondamental : la mise en œuvre d’une stratégie éditoriale, la définition d’une conception singulière du texte, ainsi que celle d’un modèle épistémologique et herméneutique pour le lire et l’interpréter, nécessitent la mise en place d’outils et d’environnements de lecture et d’écriture. A ce titre, il n’y a pas de théorie du texte sans manipulation du texte.

Le Spip original a été utilisé pour définir la première API, conçue par Arthur Juchereau. Et successivement, cette API nous a permis de faire évoluer le modèle éditorial et d’affiner notre interprétation du sens du texte afin de développer d’autres environnements de lecture et d’écriture. Tout au long de ce processus, notre équipe a progressivement acquis les compétences techniques indispensables pour suivre les évolutions du projet, mais aussi ses enjeux épistémologiques et herméneutiques.

En 2014, Arthur a d’abord dû nous expliquer concrètement ce qu’est une API. Nous en avions auparavant une compréhension approximative. La possibilité d’interroger le texte de manière standardisée depuis plusieurs plateformes s’est avérée être un atout majeur : la conception du modèle de données s’est faite de manière progressive, en ajoutant les champs nécessaires au fur et à mesure.

Dès lors, nos pratiques ont changé : nous avons commencé à manipuler les données, en utilisant javascript ou python, et c’est en faisant cela que nous avons progressivement affiné notre compréhension de l’anthologie. Nos modèles théoriques sont nés de l’environnement technique et de l’évolution de nos compétences et de nos pratiques numériques.

Techniquement, qu’est-ce qu’une épigramme?

une entité abstraite qui comporte
- textes
- mots-clés
- image(s) de manuscrit
- auteur(s)
- scholia
- …

MARCELLO La première question que la manipulation des données nous a obligés à nous poser était : qu’est-ce qu’une épigramme ? Associée à une épigramme, il y avait des textes grecs - plusieurs textes établis - des traductions de ces textes, des images du codex palatinus 23, des scholies, des mots-clés en plusieurs langues… L’épigramme ne pouvait donc pas être un texte. L’épigramme devait avoir des textes.

L’épigramme devait être une entité abstraite qui avait plusieurs choses : des textes en plusieurs langues, des mots-clés, des auteurs. etc.

Cela correspondait aussi à notre volonté de faire une édition pour un large public : il ne s’agissait pas de rechercher la vérité du texte, mais plutôt de mettre en évidence toutes les résonances des topoï anthologiques.

Après le développement de la première api, nous avons pu mettre en place plusieurs collaborations : plusieurs éditeurs (non seulement universitaires, mais aussi amateurs, comme des lycéens) ont commencé à remplir les informations : ajout de textes, de traductions (existantes ou originales), de commentaires, de notes, de mots-clés….

Nous avons continué à manipuler ces données pour les visualiser et les diffuser : un tweetbot, un site où l’on pouvait voir les épigrammes sur une carte, etc.

Cette activité de programmation a eu plusieurs effets : a) une augmentation des compétences informatiques ; b) une meilleure compréhension du modèle et de ses limites (ce qui manquait à nos données) ; c) une meilleure connaissance des données que nous avions produites ; et d) une analyse plus fine des besoins qui auraient servi de base au développement d’un nouveau modèle de données et d’une nouvelle plateforme (l’actuelle).

Manipulation des données et évolution des modèles épistémologiques

alignements (wikidata, tlg…)
autorité et collaboration
Intelligence Artificielle Littéraire : pour un modèle algorithmique de la variation dans l’Anthologie grecque

MARCELLO Nous avons donc commencé à manipuler les données à des fins de recherche notamment avec un usage important des Jupyter Notebooks : ils nous ont permis de visualiser précisément les données, de comprendre les structures et les relations de notre modèle, et de soulever des questions épistémologiques et méthodologiques majeures, parfois à partir d’une donnée faisant exception.

La nécessité de désambiguïser certaines données nous a conduit, en outre, à utiliser les Jupyter Notebooks pour explorer d’autres bases de données et tenter ainsi d’aligner nos objets sur des identifiants uniques. C’est le travail que nous avons fait sur les auteurs : nous avons d’abord récupéré les identifiants TLG des auteurs dans la version XML de Perseus. A partir de l’identifiant TLG, nous avons pu rechercher les identifiants Wikidata correspondants (lorsque Wikidata a présenté l’identifiant TLG et lorsque l’auteur existait dans la base de données Wikidata). Nous avons ensuite aligné les auteurs de notre base de données avec les identifiants TLG et Wikidata. Le travail a été en partie réalisé à l’aide d’algorithmes, puis vérifié à la main.

Une évolution récente du projet consiste à développer des algorithmes pour essayer de mieux comprendre la notion de la variation. Nous expérimentons principalement des approches d’intégration de mots. L’idée n’est pas de trouver des épigrammes qui sont des variations d’autres épigrammes, car nous connaissons déjà les variations dans l’anthologie. Il s’agit plutôt de voir si un algorithme qui parvient à trouver les variations que nous voulons peut être considéré comme une définition formelle du concept de variation lui-même.

La variatio dans l’Anthologie

Définir un concept littéraire avec un algorithme

La technique pense

Les intentions et les modèles épistémologiques d’une recherche sont établis et constamment redéfinis par.. :

les formats
la structure des données
les protocoles
les algorithmes
les infrastructures
les collaborations
…

Le projet Anthologie Grecque

L’Anthologie grecque

L’épigramme grecque

Le projet « Anthologie grecque »

Le projet « Anthologie grecque »

D’où viennent nos projets de recherche ?

Il était une fois, un projet de recherche…

Techniquement, qu’est-ce qu’une épigramme?

Manipulation des données et évolution des modèles épistémologiques

La variatio dans l’Anthologie

Définir un concept littéraire avec un algorithme

La technique pense

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