MARCELLO Pour démontrer cette hypothèse, je vais vous raconter
l’histoire de notre projet, comment il est né et comment il s’est
développé jusqu’à sa forme actuelle.
Il s’agit toujours d’un travail en cours, je vous donnerai donc un
aperçu d’un état intermédiaire qui évolue encore.
La question initiale m’est venue lorsque j’ai remarqué qu’il y avait
beaucoup d’informations sur l’Anthologie grecque en ligne, éparpillées
mais difficiles d’accès. Il m’a semblé que l’environnement numérique
pouvait être le lieu idéal pour valoriser et diffuser le corpus
anthologique
Le principe d’une anthologie repose en effet sur le rassemblement de
fragments épars et représentatifs d’une culture selon un réseau de sens
et d’imagination qui fait appel à la récurrence de thèmes (ce que l’on
appelle des topoi). Ce principe est en fait très proche des
caractéristiques de structuration et de circulation des contenus sur le
Web. Comme le dit Milad Doueihi dans son ” Digital culture “, notre
culture numérique est éminemment anthologique. (Doueihi 2011, 163).
Le projet pilote a donc exploré les possibilités d’édition
d’un tel corpus dans un environnement numérique afin de mettre en
évidence la multiplicité des lectures, le réseau des topoï, et
l’enrichissement des épigrammes par un ensemble de
métadonnées .
L’objectif initial n’étant pas principalement académique, mais plutôt
de diffuser et de promouvoir l’Anthologie auprès d’un large public, la
structure du projet s’est écartée des standards de l’édition savante
numérique (XML par exemple, la volonté d’établir le texte…) et nous a
conduit à imaginer un nouveau modèle éditorial.
La première version était un simple site web généré avec le système
de gestion de contenu Spip, mis en place par Marcello Vitali-Rosati.
Spip est un CMS français, développé dans les années 90 pour l’édition
académique, et spécialement conçu pour la publication de revues.
Le premier modèle de données, que j’ai développé dans Spip, a ensuite
servi à préciser les besoins et surtout à définir le projet, ses enjeux
de recherche, ses approches et ses méthodes.
La structure des données a donc été initialement définie à
partir des contraintes et de la conception d’un environnement
technologique particulier - choisi un peu au hasard, en raison de mon
aisance à le manipuler .
Ce constat est fondamental : la mise en œuvre d’une stratégie
éditoriale, la définition d’une conception singulière du texte, ainsi
que celle d’un modèle épistémologique et herméneutique pour le lire et
l’interpréter, nécessitent la mise en place d’outils et d’environnements
de lecture et d’écriture. A ce titre, il n’y a pas de théorie du texte
sans manipulation du texte.
Le Spip original a été utilisé pour définir la première API, conçue
par Arthur Juchereau. Et successivement, cette API nous a permis de
faire évoluer le modèle éditorial et d’affiner notre interprétation du
sens du texte afin de développer d’autres environnements de lecture et
d’écriture. Tout au long de ce processus, notre équipe a progressivement
acquis les compétences techniques indispensables pour suivre les
évolutions du projet, mais aussi ses enjeux épistémologiques et
herméneutiques.
En 2014, Arthur a d’abord dû nous expliquer concrètement ce qu’est
une API. Nous en avions auparavant une compréhension approximative. La
possibilité d’interroger le texte de manière standardisée depuis
plusieurs plateformes s’est avérée être un atout majeur : la conception
du modèle de données s’est faite de manière progressive, en ajoutant les
champs nécessaires au fur et à mesure.
Dès lors, nos pratiques ont changé : nous avons commencé à manipuler
les données, en utilisant javascript ou python, et c’est en faisant cela
que nous avons progressivement affiné notre compréhension de
l’anthologie. Nos modèles théoriques sont nés de l’environnement
technique et de l’évolution de nos compétences et de nos pratiques
numériques.